Philippe Jourdan - Avocat

L’intérêt à agir entre espoir du constructeur et soulagement du requérant

L'ordonnance n° 2013-638 du 18 juillet 2013 relative au contentieux de l'urbanisme a ajouté un article L. 600-1-2 au code de l’urbanisme selon lequel :

« Une personne autre que l'Etat, les collectivités territoriales ou leurs groupements ou une association n'est recevable à former un recours pour excès de pouvoir contre un permis de construire, de démolir ou d'aménager que si la construction, l'aménagement ou les travaux sont de nature à affecter directement les conditions d'occupation, d'utilisation ou de jouissance du bien qu'elle détient ou occupe régulièrement ou pour lequel elle bénéficie d'une promesse de vente, de bail, ou d'un contrat préliminaire mentionné à l'article L. 261-15 du code de la construction et de l'habitation ».

Il s’agissait d’éviter les recours abusifs des voisins de projets immobiliers en cours.

D’abord, par un arrêt 10 juin 2015, et au visa de ces dispositions, le Conseil d’Etat a jugé que :

« il appartient, en particulier, à tout requérant qui saisit le juge administratif d'un recours pour excès de pouvoir tendant à l'annulation d'un permis de construire, de démolir ou d'aménager, de préciser l'atteinte qu'il invoque pour justifier d'un intérêt lui donnant qualité pour agir, en faisant état de tous éléments suffisamment précis et étayés de nature à établir que cette atteinte est susceptible d'affecter directement les conditions d'occupation, d'utilisation ou de jouissance de son bien ; qu'il appartient au défendeur, s'il entend contester l'intérêt à agir du requérant, d'apporter tous éléments de nature à établir que les atteintes alléguées sont dépourvues de réalité ; qu'il appartient ensuite au juge de l'excès de pouvoir de former sa conviction sur la recevabilité de la requête au vu des éléments ainsi versés au dossier par les parties, en écartant le cas échéant les allégations qu'il jugerait insuffisamment étayées mais sans pour autant exiger de l'auteur du recours qu'il apporte la preuve du caractère certain des atteintes qu'il invoque au soutien de la recevabilité de celui-ci ».

En l’espèce, le Conseil d’Etat a d’abord estimé que la circonstance que leurs habitations respectives étaient situées à environ 700 mètres de la station en projet et que celle-ci pouvait être visible depuis ces habitations ne suffisaient pas, par elles-mêmes, à faire regarder sa construction comme de nature à affecter directement les conditions d'occupation, d'utilisation ou de jouissance des biens des requérants. Toutefois, les requérants ont fait valoir des éléments concrets en vue de démontrer qu’ils seront nécessairement exposés, du fait du projet qu'ils contestent, à des nuisances sonores, et se sont prévalus des nuisances qu'ils subissent en raison de l'existence d'une autre station de conversion implantée à 1,6 km de leurs habitations respectives.

Dans ces conditions, le Conseil d’Etat a jugé que la construction de la station de conversion électrique autorisée par la décision du préfet devait, en l'état de l'instruction, être regardée comme de nature à affecter directement les conditions d'occupation, d'utilisation ou de jouissance des maisons d'habitation des requérants, admettant ainsi l’intérêt donnant qualité à agir des requérants.

Ensuite, par un arrêt du 13 avril 2016, au visa de ces dispositions, le Conseil d’Etat s’est encore prononcé sur cette question de l’intérêt donnant qualité à agir.

En l’espèce, estimant que le requérant invoquait être occupant d'un bien immobilier situé à proximité immédiate de la parcelle d'assiette du projet et faisait valoir qu'il subirait nécessairement les conséquences de ce projet, s'agissant de sa vue et de son cadre de vie, ainsi que les troubles occasionnés par les travaux dans la jouissance paisible de son bien, le Conseil d’Etat a admis l’intérêt donnant qualité à agir du requérant qui avait fait également valoir une hauteur de l'immeuble projeté supérieure à dix mètres et la perspective de difficultés de circulation importantes.

Enfin, par un arrêt du 20 juin 2016, le Conseil d’Etat a apporté de nouvelles précisions relatives à la preuve de l’intérêt à agir du voisin immédiat.

En l’espèce, la requérante avait introduit une requête en annulation à l’encontre d’un permis d’aménager d’une parcelle située à proximité de sa maison d’habitation.

Afin de justifier de sa qualité donnant intérêt à agir, celle-ci a produit à la demande du juge : une copie de la demande du permis d’aménager, une copie du permis, un plan indiquant l’implantation des constructions envisagées, complété par un acte de notoriété et une facture d’électricité établissant sa qualité de propriétaire voisin, ainsi qu’un extrait de plan cadastral faisant apparaître la localisation du terrain d'assiette du projet par rapport à sa parcelle, la proximité de sa maison d'habitation avec ce lotissement, et la voie d'accès à ce dernier.

Jugeant ces preuves insuffisantes, le tribunal administratif avait rejeté la requête pour irrecevabilité manifeste du fait d’un défaut d’intérêt à agir, estimant que la requérante aurait dû expliquer en quoi l'aménagement autorisé était de nature à affecter directement les conditions d'occupation, d'utilisation ou de jouissance de son bien, reprenant ainsi les dispositions de l’article L. 600-1-2 du Code de l’urbanisme.

Saisi en cassation, le Conseil d’Etat a annulé l’ordonnance du Tribunal jugeant que la requérante a justifié d’un intérêt à agir suffisant, en fournissant seulement des documents cartographiques permettant d'apprécier la nature, l'importance et la localisation du projet contesté. Ainsi, les documents cartographiques indiquant la localisation du projet par rapport au terrain du requérant peuvent justifier de l’intérêt à agir d’un voisin immédiat.

Il résulte de ce cheminement jurisprudentiel que la charge de la preuve pesant sur le voisin d’un projet d’urbanisme a été considérablement allégée, dès lors que celui-ci n’a pas réellement à démontrer que les travaux sont de nature à affecter directement les conditions d’utilisation et de jouissance de son bien, réduisant ainsi nettement la portée de la réforme opérée par l'ordonnance n° 2013-638 relative au contentieux de l'urbanisme.

Conseil d’Etat, 20 juin 2016, n° 386932.

 

Maître Philippe JOURDAN
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