Philippe Jourdan - Avocat

Contrats publics : Un contribuable local peut former un recours sur le fondement de la jurisprudence Tarn-et-Garonne

En 2014, dans son arrêt Département du Tarn-et-Garonne (CE 4 avril 2014, n° 358994, publié au recueil), le Conseil d’Etat avait estimé que « tout tiers à un contrat administratif susceptible d'être lésé dans ses intérêts de façon suffisamment directe et certaine par sa passation ou ses clauses est recevable à former devant le juge du contrat un recours de pleine juridiction contestant la validité du contrat ou de certaines de ses clauses non réglementaires qui en sont divisibles ». Ainsi, les tiers susceptibles d’être lésés, dans leurs intérêts, par la passation ou les clauses d’un contrat administratif, ont la possibilité de contester la validité du contrat ou de certaines de ses clauses non réglementaires.

Pour saisir le juge du contrat, les tiers doivent néanmoins justifier que leurs intérêts sont susceptibles d’être lésés de manière suffisamment directe et certaine et ne peuvent se plaindre que de vices du contrat en rapport direct avec l’intérêt lésé dont ils se prévalent ou de ceux d’une gravité telle que le juge devrait les relever d’office (ces exigences ne s’appliquent pas au Préfet ni aux membres de l’organe délibérant de la collectivité territoriale concernée).

En l’espèce, en 2011, un contrat de concession du service public du développement et de l’exploitation du réseau de distribution et de fourniture d’énergie électrique aux tarifs réglementés puis un avenant modifiant certaines clauses de ce contrat ont été conclus entre la métropole du Grand Nancy et la société ENEDIS et ERDF.

Se prévalant de leur qualité d'usagers du service public et de contribuables locaux, plusieurs personnes physiques ont saisi le juge du contrat du tribunal administratif de Nancy pour obtenir l’annulation de l’avenant conclu. Leur demande ayant été rejetée en première instance, les requérants ont interjeté appel devant la Cour administrative d’appel de Nancy, laquelle a rejeté leur demande en considérant qu’ils n’avaient pas intérêt à agir compte tenu du caractère incertain de la mise en œuvre des clauses critiquées par les requérants.

Un contribuable local, qui dispose classiquement d’un intérêt à agir pour attaquer les finances communales (CE 1er juin 2016, Commune de Rivedoux-Plage n° 391570), bénéficie-t-il d’un tel intérêt à agir pour former un recours à l’encontre d’un tel contrat public ?

Saisi d’un pourvoi en cassation dirigé contre cet arrêt, le Conseil d’Etat affirme le principe selon lequel « lorsque l'auteur du recours se prévaut de sa qualité de contribuable local, il lui revient d'établir que la convention ou les clauses dont il conteste la validité sont susceptibles d'emporter des conséquences significatives sur les finances ou le patrimoine de la collectivité ».

Ce faisant, le Conseil d’Etat a estimé que la Cour administrative d’appel avait commis une erreur de droit en jugeant que les requérants, contribuables locaux, n’avaient pas intérêt à agir, alors que « le caractère éventuel ou incertain de la mise en œuvre de clauses étant par lui-même dépourvu d’incidence sur l’appréciation de leur répercussion possible sur les finances ou le patrimoine de l’autorité concédante » et que « des modifications d'une telle concession sont probables au cours de la période couverte par le contrat et pourraient notamment nécessiter la mise en œuvre des clauses contractuelles de rupture anticipée ». Ces clauses relatives à l’indemnité à verser au titulaire du contrat ont donc une incidence financière pour la collectivité.

Le Conseil d’Etat estime donc que, dans la mesure le contrat ou ses clauses sont seulement « susceptibles d’emporter des conséquences significatives sur les finances ou le patrimoine de la collectivité », le contribuable local justifie d’un intérêt à agir. Les moyens pouvant être invoqués doivent classiquement être en rapport direct avec l’intérêt lésé et ne peuvent donc concerner que des clauses ayant une incidence patrimoniale ou financière. Au final, un contribuable local est un tiers au contrat qui défend les intérêts lésés de la collectivité…

CE 27 mars 2020, n° 426291, publié au recueil.

 

Maître Philippe JOURDAN
CAEN : 3 rue Gabriel Dupont - BP 40012 - 14005 Caen Cedex 5
PARIS : 71 avenue Marceau - 75116 Paris

Tél. 06 61 58 06 92 - 01 84 25 16 67
contact@jourdan-avocats.fr